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L'éducation est la clé de la sécurité numérique

Interview Expert

Interview: Faustine Fleuret – Régulation

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Dans le cadre de notre magazine, nous avons réalisé une série d’interviews pour illustrer nos propos et les tendances actuelles du secteur financier et technologique. Grâce aux avis d’experts, nous souhaitons offrir des perspectives concrètes et des analyses approfondies pour mieux comprendre ce sujet.

Ici, nous parlerons de Faustine Fleuret, l’actuelle présidente de l’ADAN (Association pour le Développement des Actifs Numériques) depuis 2021. Après avoir été diplômée en économie-finance, elle rejoint l’Association française des marchés financiers (AMAFI), où elle initie le développement de l’expertise blockchain et fonde le groupe « Actifs numériques ».

Parallèlement, elle enseigne depuis 2017 à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne : les produits dérivés et la gestion des risques, puis la Fintech.


Les régulations internationales contribuent-elles à sécuriser l’écosystème Web3 en respectant la décentralisation & la confidentialité ?

« Première chose importante, la réglementation du Web3 est une réglementation avec de nombreuses sous réglementations. Aujourd’hui, il est impossible de réglementer TOUT le Web3 avec un seul texte qui serait pertinent pour l’ensemble des cas d’usage. 

D’ailleurs, si on regarde ce qui a été fait, c’est d’abord les cas d’usage financiers autour des crypto-actifs qui ont fait l’objet de travaux réglementaires et à partir de maintenant, il y a beaucoup d’autres applications qui vont devoir faire l’objet d’un tel travail pour sécuriser l’écosystème Web3, adapter à chacune des applications que l’on peut avoir derrière le Web3 : 

  1. Les autres applications financières non couvertes à date par la règlemention,
  2. les applications non-financières
  3. les applications décentralisées. (Uniswap, Aave,…)

Cela veut dire aussi, ne pas mettre tous les œufs dans le même panier, ne pas couvrir le Web3 par un seul texte de réglementation qui ne serait donc pas adapté à l’ensemble. Il faut aller de façon beaucoup plus granulaire dans la construction de textes, de réglementations, de lois qui vont avoir un champ d’application très spécifique. Ce qui a été par exemple fait avec la réglementation européenne MiCA (Market in Crypto Assets Regulation), son champ d’application ne concerne que les marchés de crypto-actifs et typiquement cela ne va pas couvrir :

  • Les nouveaux jeux vidéo Web3,
  • La tokenisation des actifs financiers & actifs physiques (RWA),
  • La finance décentralisée / sans intérmediaire.

Le but d’avoir une granularité dans les réglementations est de respecter et maintenir la co-existence d’une innovation intermédiée et d’une innovation décentralisée dans le Web3.

En ce sens, on peut avec cette granularité respecter la décentralisation et la confidentialité. Le but d’avoir une spécificité dans les réglementations est de respecter l’existence à la fois d’une innovation centralisée et d’une innovation décentralisée dans le Web3. Et un texte de loi venant réglementer la finance décentralisée devra respecter le fonctionnement de la décentralisation pour être vraiment efficace afin de vraiment sécuriser et continuer à développer solidement l’écosystème Web3. 

Comment la confidentialité peut être respectée? Une fois encore, ça va dépendre de la très bonne granularité qu’il faut qu’il y ait dans les réglementations qui vont couvrir aujourd’hui et demain le Web3, en fonction des parties prenantes impliquées comme les intermédiaires de marché et les protocoles. Des règles qui sont adaptées à ces entités, et surtout des règles qui ne vont pas trop loin dans la limitation de certaines libertés, et notamment les menaces sur la vie privée des utilisateurs. 

Au-delà de la granularité, la condition d’une réglementation efficace va être la proportionnalité. C’est en effet un enjeu qui va être beaucoup plus large que la réglementation de la crypto, mais c’est un enjeu de la réglementation en général. Comment concilier la nécessité de laisser se développer une industrie jeune en ne l’assommant pas d’exigences trop lourdes, un besoin de partage d’informations entre les acteurs et les régulateurs à des fins de lutte contre la criminalité financière, à des besoins de stabilité financière, à des besoins de protection de l’investisseur, comment concilier les besoins qu’il peut y avoir d’un point de vue de ces objectifs qui sont louables avec une confidentialité qui est souhaitable et qui est nécessaire dans la vie quotidienne des citoyens ?

Comment concilier les besoins du point de vue des objectifs de la réglementation qui sont louables pour les régulateurs avec une confidentialité qui est souhaitable pour les citoyens ?

Tableau des points-clés :

Pour répondre à ta question, deux grandes caractéristiques qu’une réglementation doit pouvoir revêtir : 

  1. La granularité
  2. La proportionnalité pour garantir qu’on atteint les objectifs de la réglementation que l’on souhaite, sans menacer ni la croissance, ni l’innovation ni les libertés des citoyens. »

Quels modèles de régulations semblent les plus efficaces pour protéger les utilisateurs et investisseurs en EU ou USA?

« Il est certain que les approches et les rythmes de développement de la réglementation varient considérablement selon les régions du monde. L’Europe, par exemple, est actuellement en tête, étant la région la plus avancée en matière de réglementation par rapport aux autres grandes économies mondiales. 

Même au sein de l’Europe, on observe des différences de rythme. La France, en particulier, a joué un rôle moteur dans la construction de la réglementation européenne, illustrant comment des stratégies et des rythmes distincts peuvent influencer la structuration de l’industrie.

Ce rythme accéléré peut aussi freiner la croissance des acteurs du marché, alors qu’une approche plus lente permet aux entreprises de se développer sans les contraintes immédiatement trop lourdes de conformité réglementaire..

Réglementer rapidement peut offrir l’avantage de structurer plus vite une industrie professionnelle, crédible, et sérieuse, car soumise à des normes claires. Cependant, ce rythme accéléré peut aussi freiner la croissance des acteurs du marché, alors qu’une approche plus lente permet aux entreprises de se développer sans les contraintes immédiates de conformité réglementaire. Mais cette lenteur comporte aussi des risques, notamment pour les utilisateurs, car elle peut offrir plus d’opportunités aux acteurs mal intentionnés.

Récapitulatif : 

Avantages et Inconvénients de la Rapidité de Réglementation

  • Avantages :
    • Structurer rapidement une industrie crédible et sérieuse.
    • Imposer des normes claires dès le départ.
  • Inconvénients :
    • Risque de freiner la croissance des acteurs du marché.
    • Réduction de la capacité des entreprises à se développer sans contraintes réglementaires immédiates.

Risques liés à une Réglementation Lente 

  • Avantages : Permet aux entreprises de se développer librement sans les coûts immédiats de conformité.
  • Inconvénients : Augmente le risque pour les utilisateurs, car les zones moins réglementées peuvent favoriser les acteurs mal intentionnés.

Approches Réglementaires Différentes :

  • Europe :
    • Approche ad hoc : Réglementation spécifique pour les cryptomonnaies, considérées comme une nouvelle classe d’actifs.
  • États-Unis :
    • Approche au cas par cas : Pas de cadre réglementaire spécifique pour les crypto-actifs, ce qui crée une incertitude pour les entreprises quant à la manière de se conformer.

Conditions pour une Réglementation Efficace :

  1. Adaptation : Une réglementation doit être adaptée aux réalités de l’industrie pour être efficace. Sinon, elle pourrait décourager les entreprises de s’y conformer.
  2. Existence d’acteurs conformes : Il est crucial d’avoir un nombre suffisant d’entreprises solides pour appliquer les normes. Sans cela, les efforts pour protéger les utilisateurs risquent d’être inefficaces.

Les stratégies divergent à l’échelle internationale et se manifestent également dans la manière dont l’innovation est perçue : 

  • En Europe, l’approche a consisté à réglementer les cryptomonnaies de manière ad hoc, en les considérant comme une nouvelle classe d’actifs, nécessitant des règles spécifiques. 
  • Aux États-Unis, la situation est très différente. Il n’existe pas encore de catégorie spécifique pour les crypto-actifs ni de statut dédié pour les acteurs du marché crypto. Là-bas, la réglementation se fait souvent au cas par cas, ce qui crée un climat d’incertitude pour les entreprises, car elles ne savent pas toujours comment se conformer aux exigences réglementaires ou même quelles sont ces exigences.

En termes d’efficacité, une réglementation doit avant tout être adaptée aux réalités de l’industrie. Une réglementation inadaptée risque d’être inefficace, voire contre-productive, en décourageant les entreprises de se conformer. C’est pourquoi l’approche européenne, qui prend en compte la spécificité des cryptos et des technologies sous-jacentes, est plus appropriée. Cependant, cette efficacité dépend aussi de l’existence d’un nombre suffisant d’acteurs à réglementer. Si une réglementation est trop stricte et freine le développement des entreprises, les utilisateurs pourraient se tourner vers des services situés dans des zones moins réglementées, et donc moins protectrices.

Sans ces « champions » à réglementer, les efforts pour protéger les utilisateurs risquent d’être vains, car il n’y aura personne pour appliquer les normes établies.

Il est crucial qu’il y ait des entreprises solides et conformes aux règles pour que ces réglementations soient réellement appliquées et efficaces. Sans ces « champions » à réglementer, les efforts pour protéger les utilisateurs risquent d’être vains, car il n’y aura personne pour appliquer les normes établies. »

Quelle est votre perspective sur l’avenir de la réglementation mondiale des cryptomonnaies et du Web3 dans les cinq à dix prochaines années ?

« Le message le plus important que j’aimerais faire passer, c’est que la réglementation du Web3 est loin d’être achevée ! Nous ne sommes qu’au début. Bien que l’Europe ait adopté MiCA, il est faux de penser que le travail est terminé. En réalité, MiCA est une réglementation qui se concentre sur les marchés centralisés de crypto-actifs, mais le Web3, c’est bien plus que cela.

Réglementer l’ensemble du Web3 implique de couvrir une variété de cas d’usage, ce qui demande encore beaucoup de travail. MiCA ne couvre pas tout, et de nombreux autres acteurs vont être confrontés à des réglementations qui n’existent pas encore aujourd’hui. De plus, il est possible que tous les cas d’usage du Web3 n’aient pas encore émergé, et que nous ne connaissions pas encore toutes les innovations à venir. Cela signifie que nous devrons encore imaginer d’autres cadres réglementaires pour ces nouvelles innovations.

Deux grandes tendances sont à surveiller. l’apparition de nouvelles réglementations […] et le renforcement des réglementations existantes.

Ainsi, dans les cinq à dix prochaines années, deux grandes tendances sont à surveiller. D’une part, l’apparition de nouvelles réglementations pour des cas d’usage qui ne sont pas encore couverts par les régulateurs à l’échelle mondiale. 

D’autre part, l’amélioration et le renforcement des réglementations existantes, notamment MiCA. De la même manière que MiCA ne régit pas tout le Web3, il ne sera pas non plus le seul texte à encadrer les marchés de crypto-actifs. Nous sommes encore loin d’un cadre réglementaire complet.

Actuellement, en Europe, nous avons plusieurs textes clés notamment :

  • MiCA, qui encadre les marchés de crypto-actifs.
  • Le régime pilote pour les infrastructures de marché DLT, qui aménage les conditions d’exemption de certaines règles financières classiques pour les security tokens, c’est-à-dire les instruments financiers tokenisés.
  • La réforme en matière de lutte contre le blanchiment (AML) et le financement du terrorisme, qui a été adoptée et entrera progressivement en application. Ces textes concernent principalement les acteurs du marché crypto.

En plus de cela, nous savons que des réglementations pour la finance décentralisée (DeFi) et les NFT sont en préparation. Cela a été décidé car MiCA n’était pas le texte approprié pour encadrer ces domaines. L’Europe a reconnu cette limitation et travaille désormais sur des pistes de réglementation pour ces innovations, qui devraient être partagées prochainement par la Commission européenne.

En France, nous avons même pris une longueur d’avance avec l’adoption d’une réglementation pour les jeux vidéo Web3 au printemps. Ce cadre national pourrait inspirer la Commission européenne dans sa réflexion sur la réglementation de certains cas d’usage des NFT, notamment ceux liés aux jeux vidéo Web3.

l’Europe continuera à développer ses cadres réglementaires, et d’autres grandes régions économiques mondiales devront suivre

Pour résumer, l’Europe, qui est en avance sur ces questions, continuera à développer ses cadres réglementaires, et d’autres grandes régions économiques mondiales devront suivre. Le cadre complet de la réglementation des cryptomonnaies et du Web3 va continuer à s’étendre au-delà des marchés crypto-actifs, car c’est ce domaine qui a été le plus travaillé jusqu’à présent.

  1. Extension du périmètre : Les réglementations couvriront de plus en plus de cas d’usage au fur et à mesure que de nouvelles innovations émergeront.
  2. Renforcement des réglementations existantes

Avec l’entrée en vigueur de MiCA à la fin de l’année, il est clair que ce n’est que le début. La réglementation continuera d’évoluer, de se renforcer, et de s’adapter aux besoins du marché. Les régulateurs, quant à eux, continueront d’ajuster et de compléter MiCA avec des règles ou des textes additionnels au fil du temps. »

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Interview: Faustine Fleuret – Régulation

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