Interview: Jean-Jacques Quisquater

Dans le cadre de notre magazine, nous avons réalisé une série d’interviews pour illustrer nos propos et les tendances actuelles du secteur financier et technologique. Grâce aux avis d’experts, nous souhaitons offrir des perspectives concrètes et des analyses approfondies pour mieux comprendre ce sujet.

Jean-Jacques Quisquater est un cryptographe belge renommé (aka le Papi Belge du Bitcoin). Il est professeur à l’Université catholique de Louvain et a co-inventé plusieurs algorithmes cryptographiques. Ses travaux ont influencé de nombreux aspects de la cryptographie moderne, notamment la sécurité des cartes à puce et les systèmes de signature numérique. Il est également un membre actif de la grande communauté cryptographique, donne des conférences à l’échelle internationale et surtout il a été cité par Satoshi Nakamoto lui-même dans le whitepaper du Bitcoin.

Note : Il n’est peut-être pas très étonnant, quand on sait qu’un des 5 grand prétendants derrière le pseudonyme Satoshi pourrait être un américain qui a travaillé à Leuven (en Belgique) et y est décédé : Len Sassaman.

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Comment voyez-vous l’avenir des cryptomonnaies et leur impact sur notre société ?

J-J Q. : “La plupart des cryptomonnaies vont disparaître plus ou moins vite. De nouvelles arriveront. Leur nombre est d’ailleurs inconnu : il varie entre 10 000 et 25 000 (40 000 d’après certains !) selon les sources. Il y a des cryptomonnaies de niche. Des cryptomonnaies importantes vont continuer et il est fort possible qu’une nouvelle cryptomonnaie apparaisse et domine (presque) toutes les autres grâce aux leçons des expériences actuelles. La recherche n’est pas terminée.

Des cryptomonnaies importantes vont continuer et il est fort possible qu’une nouvelle cryptomonnaie apparaisse et domine (presque) toutes les autres grâce aux leçons des expériences actuelles.

Regardons également la définition de bitcoin donnée par Satoshi (le créateur du Bitcoin). Cela correspond bien à ma vision : c’est sur ce concept que j’ai travaillé notamment avec David Chaum et j’ai même des brevets sur les tokens avec Louis Guillou :

“Une version purement pair-à-pair de l’argent électronique permettrait aux paiements en ligne d’être envoyés directement d’une partie à l’autre sans passer par une institution financière ».

Cela étant, l’usage courant de Bitcoin et autres dérive vers la spéculation, ainsi que le stockage de valeur aussi (comme l’or) et ce n’était pas l’intention première. De plus, l’idée de décentralisation a tout de même perdu de sa vigueur dans la pratique.

Cependant, l’impact des cryptomonnaies sur notre (ou les) société est et restera important : elles ont permis de comprendre que la décentralisation est utile et intéressante à étudier et à appliquer dans le domaine numérique (comme c’était l’idée initiale d’Internet). Cela doit perdurer (et pas seulement dans le piratage, voir gnutella, etc). Il est clair que nous nous dirigeons vers une monnaie numérique pour les États (cfr : CBDC) et il faudra bien surveiller, voire lutter sans relâche , le respect et la protection de la vie privée. L’ajout de l’IA accroît la complexité de ces enjeux.”

Pensez-vous que les idéaux des Cypherpunks sont toujours pertinents dans le contexte actuel des cryptomonnaies et des technologies de la blockchain ?

“Les idéaux des cypherpunks, et d’autres personnes aussi — Haber, Stornetta, …, moi-même — ne sont pas mentionnés, pourtant bien cités dans le whitepaper, et restent pertinents. L’idéal de base était la décentralisation, l’autonomie, et dépendre le moins possible des institutions financières et, donc, en pratique de l’Etat. Ainsi cet idéal est libertaire, ce qui, aux USA, est plutôt une idée de droite…

L’idéal de base était la décentralisation, l’autonomie, dépendre le moins possible des institutions financières

Ces idéaux sont toujours pertinents mais doivent être replacer dans un contexte plus neutre pour être mieux accepté. Les blockchains sont une idée qui restera mais qui doit encore faire ses preuves dans de nombreux de domaines. Les blockchains sont des mécanismes de transmissions de confiance (trust) et ça c’est très important !”

Possédez-vous du Bitcoin ou d’autres cryptomonnaies ? Pensez vous les donner en héritage à vos enfants et petits-enfants ?

“Je ne possède pas de bitcoin. C’est un choix familial pour répondre à la question.

J’utilise le plus possible le cash pour garder ma liberté.”

Je n’y ai jamais pensé comme placement car pour moi bitcoin devrait rester pour le paiement et je n’ai guère d’occasions pour cela, et c’est peut-être dommage. Par contre, j’utilise le plus possible le cash pour garder ma liberté.”

Lien pour en savoir plus : Médor a écrit un article biographique sur Mr.Quisquater